Mise au point : Suis-je une débauchée ?


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6 jours. Ce n’est malheureusement pas le temps qu’il faut pour opérer un changement significatif dans la Oumma, communauté supposément composée d’individus qui acceptent le Haqq et ce, même s’il va à l’encontre de leurs bugs internes.

6 jours. C’est en réalité le temps qu’il a fallu pour qu’on me demande gentiment de retirer mon dernier article de la surface virtuelle.

« Retire ça vilaine, tu nous gènes ! »

Pour quelle(s) raison(s) ? Tout simplement car cela dérange certains frères qui y voient un manque flagrant de pudeur et une débauche sans nom. Ils ne comprennent pas comment une sœur pourtant « respectable » peut scander publiquement autant de « vulgarités ». Ce sont des frères instruits, friands d’authenticité islamique et tout ce qui va avec. Mais pas que.

Quels risques je prends ? Tout simplement de passer pour une dévergondée, débauchée, impudique. Bref, pas une fille bien auprès de ces mêmes « frères ».

Si cette nouvelle m’a d’abord irritée car je la trouve infondée et révélatrice de symptômes et malaises profonds, j’y ai vu une preuve de plus à ajouter au compteur : La suprématie du tabou et sa progéniture ont encore de belles années devant eux. Il n’est plus seulement assumé. Il est préservé envers et contre tout. Pire encore, on juge par lui de la moralité d’une sœur. Une sœur qui dévoile des problèmes rencontrés chez les hommes de sa communauté. Une sœur qui reçoit en consultation des sœurs victimes des tares de ces mêmes hommes.

Cette sœur n’est autre que moi-même et aujourd’hui, on a remis en cause ma moralité, ma pudeur et mon éducation.

Quand bien même, je ne veux pas le prendre personnellement car ce serait rendre service au tabou, ce vieux bougre sournois.

« Parles-en entre sœurs », me susurre-t-on patriarcalement à l’oreille : D’accord. Mais si ça concerne d’abord les frères, on fait quoi ? On leur envoie un fax ?

« C’est la forme qui dérange… Non le fond… Non les deux en fait. Tu veux pas juste te taire à jamais ? » : Toutes mes condoléances, les gars. Je sais que vous êtes beaucoup dans l’imaginaire et que certains passages ont sûrement entraîné des films en 3D, empêchant toute réflexion sereine. Ça a du vous déstabiliser et vous pousser à m’en vouloir. Pardon pour ça.

Si j’avais fais bac+8 en boulangerie, j’aurais sûrement parlé des discriminations de la brioche sénégalaise dans les cuisines françaises. Malheureusement pour vos clivages et autres joyeusetés psys, mon délire c’est le domaine thérapeutique donc j’agis à ce niveau.

« Pourquoi appeler un chat, un chat ? » : Car ce n’est pas un crocodile, pardi ! Et surtout parce qu’on a assez vécu dans le tabou et les demi-mots. La frilosité à parler des vrais sujets qui concernent nos vraies vies. Le tapis ne cache plus la poussière, le tapis a disparu tellement poussière, il y a.

« Nos sociétés ont hérité d’une conception erronée selon laquelle la pudeur interdit au musulman d’aborder tout sujet ayant rapport au sexe. On nous a appris à éviter à tout prix de poser une question à ce sujet même si nous en ressentons la nécessité, et à éviter de répondre à une telle question ou de participer à une discussion sérieuse à ce sujet. »

Abou Chouqqa, rahimahuLlâh.

Je suis désolée de vous sortir de vos petites vies bien rangées où tout se passe au mieux tant qu’on a une barbe et qu’on discute des fondamentaux de la Foi islamique autour d’un thé mais nous avons dépassé depuis bien longtemps le stade de la « nécessité« , dont nous parle Abou Chouqqa, historien et auteur de « L’encyclopédie de la femme musulmane ».

Le niveau auquel on se trouve actuellement est celui des viols conjugaux, des infidélités à gogo et de l’inceste par millier. Le niveau dans lequel on se noie est celui qui pousse des frères à faire de la polygamie, principe sunnatique à illustrer aaaabsoooooolument, leur manière « halal » de parler de sexualité plutôt que de régler leurs problèmes sereinement. Notre niveau est celui qui nous pousse tristement à constater que la Oumma compte de sérieux pervers sexuels.

Notre niveau est celui qui fait vivre à un paquet de frère, une dichotomie sexuelle, les poussant à jouer sur les ambiguïtés relationnelles avec le sexe opposé.

« Tu as besoin de tel livre, ma sœur ? SubhanAllah, je l’ai dans ma bibliothèque. Quelle coïncidence ! Pourquoi ne pas se donner rendez-vous pour te le passer ? En toute fraternité bien sûr. Je suis un gars tellement serviable et généreux, passe-moi ton numéro, c’est plus facile pour se retrouver. Tu as des problèmes dans ta vie ma sœur ? Parles-en moi je serais ton conseiller 2.0. Tant pis si on tombe dans une intimité semi-assumée. C’est fisabiliLlah ourtie. »

Vous auriez préféré qu’on vous parle de licornes et de marshmallows ?

« Le sexe et tout ce qui s’y rapporte de près ou de loin demeure un sujet tabou, et quiconque aborde ce sujet ne peut être, selon cette conception erronée, qu’un impudent, un débauché ou un rustre ignorant des bonnes manières. Les gens corrects et bien élevés ont chez nous une curieuse attitude : il suffit qu’une conversation sérieuse s’oriente quelque peu vers la question du sexe, pour qu’ils rougissent de honte et deviennent tout embarrassés, quand ils ne vont pas jusqu’à prendre la fuite ! (…) S’ils doivent absolument écouter, ils seront gênés comme si un tel sujet leur était pénible. Si le sujet doit être abordé, il faut que ce soit en secret, comme s’ils commettaient une mauvaise action dont personne ne devait avoir connaissance. Le sujet ne peut être abordé qu’après maints préliminaires, avec la plus grande pudeur et après de multiples détours. »

Abou Chouqqa, rahimahuLlâh.

J’essaye de vous aimer fiLlah mes frères et j’aspire à une réforme de tous les niveaux. Mais les personnes telles que moi ne peuvent tout faire seules. Il faudra que certaines choses viennent de vous et votre future reconnaissance des réalités. Il faudra daigner accepter les aides externes, sabab d’un mieux être.

J’essaye de vous aimer fiLlah mes sœurs et j’espère que la grâce d’Allah vous permettra de dépasser vos difficultés. Que ce qui a composé votre passé soit dépassé, vos challenges appréhendés et que vos âmes soient rééquilibrées.

J’essaye de t’aimer ma Oumma et j’espère que tu abriteras des unions solides et épanouies. Qu’en ton sein, des êtres verront leurs âmes décoller tellement les choses se passent en harmonie entre elles, leur moitié et Allah.

« Bref, cette pudeur excessive ne provient que d’un état d’esprit qui s’est emparé de nous et des traditions sans aucune base religieuse, qui se sont transmises de génération en génération et que nous suivons au mépris des enseignements de notre religion. »
Ibid.

Pour les autres qui n’aiment pas ce menu et préfèrent me taxer de débauchée pour ne pas avoir à reconnaître les faits indéniables, vous permettez qu’on avance sans vous ? Merci, bonsoir.

S.

22 commentaires

  1. Assw,

    que c’est triste que vous ayez à répondre à ces accusations… Les caricatures de frères que vous décrivez existent malheureusement bel et bien.

    Allahou Al mousta3an.

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  2. Waw ! Ça s’appelle une bonne et soigneuse correction ça ! Franchement je te félicite pour le travail effectué, et le fait que t’en parles de cette manière ça ne peut que aider. Hélas certaines visions issues pour la plupart de traditions millénaires ne voudront pas s’engager sur ce terrain là, et pourtant c’est pour leur bien !
    Bref, ta plume est exquise, j’ai évidemment lu tes articles précédents, celui sur la lecture m’a poussé à franchir la porte de la bibliothèque, et l’autre à comprendre que non le sexe n’est pas hchouma en islam tiens !
    Ton métier se situe dans le domaine psychologique non ? En tout cas tu gères c’est tout
    Baraka’Allah o fik pour cet article et tout les précédents. :)

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    1. Wa feek al barakAllah!

      Je tiens à mon discours franc et je pense sincèrement que c’est un des facteurs qui va nous permettre d’avancer. Je sais que de par son absence, beaucoup de choses restent inconnues pour la masse et c’est bien dommage.
      Dans le domaine thérapeutique, oui :)

      Merci pour tes encouragements, ça me conforte beaucoup !

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  3. As Salam Alaykoum,
    Preuve que ton article a cerné ce qu’il fallait… cela gêne et tant mieux !!!
    Nous allons dans la dérive à mettre des tabous partout… les jeunes s’informent que dis-je pas seulement les jeunes ^^ sur des supports plutôt « pas » conseillés…
    Certains sujets abandonnés depuis des années doivent être traités et notamment ceux dont tu parles …
    La Oumma a du travail et je vais dans ton sens …
    Ce n’est pas parce que la plupart ferment les yeux que rien ne se passent, cela ne se dit pas c’est tout et c’est bien malheureux, c’est à ce stade que les états de détresse émotionnelle débarquent…
    Bref, je te soutiens.
    Qu’Allah te facilite et fasse avancer la Oumma..

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  4. Pour moi, courageuse et engagée, tu es. C’est vraiment superbe le travail que tu fournis. Tu poses une réflexion nécessaire. Avec tes mots, tu sais cerner et retranscrire la problématique insidieusement cachée d’une communauté. Car il faut insister là-dessus, ça touche l’ensemble du troupeau. J’aime te lire, toujours. J’encourage ta démarche.

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  5. Salam aleykoum, continue car ce que tu fait est génial ! Allahi berek qu’Allah e facilite dans tout ce que tu entreprend et qu’il nous aide à nous réformer. Allah lui même n’as pas eu honte de parler de sexualité dans le qur’an ! Le Qur’an est un guide pour ceux qui raisonnent !

    Bravo et merci pour ceux qui avancerons grâce à toi.

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    1. Wa’aleyki salâm Mahdiya,

      Effectivement, plusieurs versets (et ahadiths d’ailleurs) évoquent soit explicitement, soit métaphoriquement la sexualité jusqu’à parler de « seins ronds ». Ce sont des éléments à mettre en lumière si l’on déculpabiliser.

      Ameen ajma’ine :)

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      1. Quand je parlais d’inceste je parlais chez les musulmans et entre frères et sœurs on s’entend. C’est là où je me demandais si ce que tu as évoqué sur mariage a un rapport avec cela. Mais de manière générale, on sait bien que cela existe, je viens de lire impure. Ça prend au tripes. Que dire…de part ton travail tu dois voir des côtés sombres de l’être humain et ça ne doit pas être facile tous les jours autant pour toi que pour tes patients. Qu’Allah soit leur refuge là où il n’y a point de refuge comme l’a demandé Moise dans son invocation poignante. Tu as raison de dire qu’il n’y a que la foi qui sauve et fais des miracles. Aujourd’hui, les chercheurs s’intéressent à la capacité de résilience des gens au parcours difficiles et franchement ils n’en son qu’au début…Qu’Allah te récompense pour cette écoute et cette abnégation que tu leur donne.

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      2. Quand j’évoque l’inceste, je le fais car je l’ai vu et constaté dans la communauté musulmane, de par le père, l’oncle, le cousin, l’ami de la famille. Pour la plupart, cela s’étale sur plusieurs années. Dans le pays de résidence principale, les visites familiales ou au bled, durant les siestes.

        J’ai aussi été choquée de voir que ça se passait également chez des musulmans car comme tu dis, on sait que ça existe mais sans plus. C’est malgré tout une réalité et si on veut avancer, il faut la reconnaître et l’intégrer dans nos tentatives de réformes. D’autant plus qu’elle fonde une large majorité au niveau de la patientèle des acteurs du domaine psy. On ne parle pas de 5 ou 10 %.

        Ameen. Quand on est confronté au noyau d’une communauté, qu’on en voit les travers, qu’on en côtoie l’intimité, qu’on écoute ce qui se cache dans les foyers, on ne peut pas continuer à vivre sans au moins en parler alors modestement, j’exprime ce que je vois et vis sur cet espace personnel.

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  6. Très bien , de la part d’un Musulman pratiquant . Oui le passage sur la polygamie excellent, je trouvait qu’il manquait cette donné dans l’article précédent. C’es pour ça meme qu’ils se permettent d’ épousé une femme « désexualisé » , ils ont un joker « polyamie » (qui n’est pas du tout fait pour ça mais encore une fois sommes nous pret à l’entendre?) . Du coup ils s’étonnent ces frères quand je leurs décrit ma femme idéale, à la fois pieuse et très attirante, oui bien sur moi je ne compte pas utiliser de joker « haram » ou « pseudo hallal’.

    Bref

    1) j’aimerai un peu plus de précision sur l’inceste, un certain Tariq Ramadan à très vite abordé le sujet. Je n’était as au courant du tout ?

    2) Tu es psychothérapeute ? Dans quelle ville?

    Assalam Aleykoum!

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    1. Wa’aleyka salâm.

      Excellente réflexion ! C’est clairement perçu comme un joker et quand on est face à des frères qui ne prient même pas mais qui vendent le paradis contre la polygamie auprès de leurs épouses, il y a de sérieuses questions à se poser… En tant que thérapeute confrontée à ces problématiques, je ne peux rester muette.

      Les encouragements me touchent toujours mais encore plus lorsqu’ils viennent d’hommes. On attend plus de virulence d’eux vu que le précédent article les visait. Alors merci de Bruxelles pour ça !

      Par rapport à l’inceste, tu auras certaines informations dans les commentaires de mon article « Impure », où je traite justement cette question là.

      http://onewaytoihsan.com/2013/06/17/impure/

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  7. Salam alaykum, tes textes sont vraiment un plaisir… de temps a autre je reviens sur ton blog pour lire ce que tu ecris.
    On a besoin de gens comme toi qui exposent clairement ce qui se passe dans notre communaute… certains se voilent la face mais ce n’est pas comme ca que nous changerons les choses.
    Continue ton travail et j’implore Allah qu’Il fasse de toi une reformatrice des coeurs.
    Depuis Londres, une fidele lectrice….

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Des choses à dire ? BismiLlâh !